- By Martine Raibaldi
- 19 septembre 2020
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Fornace, Passion, Savoir-Faire : Les hommes de la fusion
Etre accueillie au sein d’un fornace demande beaucoup d’humilité et de patience. Vous entrez dans un monde en fusion, un monde masculin, un monde le plus souvent économe de mots, le geste et le regard délivrant des paroles silencieuses, codifiées par un long apprentissage.
Il est convenu qu’un trio soudé, où « maestro vetraio et servante », formé à une époque depuis l’enfance, a sa place et son utilité, cet état de fait étant nécessaire et précieux pour réussir la parfaite adéquation chimique du verre. Car il s’agit bien de cela, « il vetro ».
Observer et comprendre le travail de sa fusion, au bout d’une longue canne percée –canna da soffio- un moignon –il bolo- qui roule, s’allonge, est soufflé, pour démarrer les diverses étapes et obtenir la pièce décidée auparavant. Le maestro prend place sur son banc de bois –il scagno-, les outils –arnesi-à ses côtés ; la pince- la borsela-, les ciseaux –tagienti-, dans un seau d’eau « il magiosso » bol en bois de poirier, de taille plus ou moins grande, qui donne une forme arrondie, les tampons sans doute de laine ou de coton pour lisser la peau chaude et transparent. La main adroite, prolongée par la pince va et vient, lissant, pinçant, étirant, étranglant. Ainsi commence la vie de la future création.
Le regard inspecte, il est là pour définir la suite des opérations. Le souffle rapide, quant à lui, gonfle légèrement ce produit rougeoyant, la canne se transformant alors en un long instrument à vent silencieux : volume d’air si court, injecté avec une telle rapidité qu’il est presque impossible de fixer l’image, mais suffisant pour aider la boule de feu à s’amplifier. Une chorégraphie parfaite s’inscrit
dans le mouvement de la canne qui se balance à un moment donné, pouvant accomplir un tour complet, le maestro ou partenaire se balançant d’une jambe sur l’autre dans un mouvement souple et déterminé.
Observer ces hommes qui transpirent tant la chaleur est haute, dans un silence seulement
accompagné du grondement sourd du four, rythmé du seul cliquetis des outils de métal supportant
la haute chaleur. Le regard peut se faire fuyant pour ne pas se confronter au vôtre. Seulement de la pudeur. Le visage souffre, perlé de gouttes de sueur. Les bouteilles d’eau se vident rapidement. Mais vous arrivez par la patience et l’intérêt sincère que vous portez durant ces moments à croiser ces yeux. La sensibilité est là. L’émotion aussi…
Regarder la main qui fait rouler la canne, toute en souplesse comme une caresse, douce et peut-être même sensuelle, nécessaire à la formation de la future pièce de verre. Les doigts qui exercent une pratique journalière sur la longue tige de métal ont une précision si remarquable. Une mini chorégraphie après celle des jambes et du souffle. Goûter chaque instant dans ce monde rude mais si
émouvant. Où chaque geste, d’une économie parfaite, a été mis en place par une longue expérience humaine.
Apprivoiser le temps sera la récompense de votre patience, de votre silence. Consciente dans une immobilité réfléchie, le cadeau, lorsqu’à la fin du travail, la pièce finie avant d’intégrer le four qui calmera progressivement la chaleur, on vous montre l’objet façonné, au bout de la canne dressée comme un étendard, et en s’adressant à vous, vous entendez :
-« Garda ! Fai la foto ! »
Comment remercier ces entrepreneurs souvent inconnus, ces magiciens silencieux? Ils vous offrent le petit récipient par lequel vous appréciez une eau fraiche et désaltérante, sans prendre conscience
de l’énergie et du savoir-faire qu’il aura fallu pour avoir en main un objet à la fois solide mais tellement fragile. Pensez à eux lorsque vous apprécierez votre vin savoureux et gouleyant.
C’est ce que je fais à chaque gorgée, chaque jour, dans mon joli récipient coloré de Muran, si léger, si fragile, si précieux.
Texte et Photos – Martine Raibaldi – Septembre 2020